Sexualité : Ursula Le Guin, Manchots et extraterrestres

Nous avons besoin d’autrui pour nous reproduire, c’est une contrainte biologique. Elle a structuré notre évolution, notre culture s’est autour de ce fil directeur et il est le moteur de notre psychologie. Et si notre biologie avait été différente ? En quoi notre esprit en serait-il affecté ? Et qu’est-ce que cela nous apprend sur nous-mêmes ?

    Plus il y aura de pierres, plus les femelles seront séduites. Le manchot voisin en piquerai bien quelques unes…Plus il y aura de pierres, plus les femelles seront séduites. Le manchot voisin en piquerai d’ailleurs bien quelques unes…

Quels autres modes de reproductions peut-on imaginer ? Nous le faisons avec une autre personne, donc la première chose est de changer le nombre de partenaires. Les espèces hermaphrodites, et d’autres, peuvent se reproduire avec elle-même. Mais elles ne sont pas intéressantes pour moi. Leur psychologie serait sans doute très différente de la nôtre, mais pourrait-elle atteindre un haut niveau de développement ?

La sexualité est un moteur pour la race humaine. La séduction et l’amour ont de tout temps poussé les hommes à se surpasser. Dans La Main gauche de la nuit, l’écrivaine et sociologue Ursula le Guin décrit un peuple de pseudohumains asexués, qui ne se sexuent, acquiert un sexe masculin ou féminin, que ponctuellement, à certaines périodes, pour la reproduction.) Une des conséquences de cette asexualisation est une extrême lenteur de leur progrès technologique. Au moment du roman, ils ont déjà inventé la radio depuis plusieurs centaines d’années, mais ne sont toujours pas allés jusqu’à la télévision. Leur temps est comme ralenti, débarrassé de ses pulsions. Une espèce sans ces pulsions pourrait-elle seulement dépasser le stade d’amibe ? La compétition sexuelle est au coeur de l’évolution biologique et culturelle. USK contourne le problème en supposant l’espèce avoir une lointaine origine humaine, qui a seulement dû repartir de zéro.

Elle décrit alors la culture, leurs mœurs et même les troubles psychologues qui correspondent à leur condition charnelle. Par exemple, les adolescents ressentent souvent, à l’approche de la puberté, une répulsion maladive pour les adultes. Eux qui ont toujours été asexués, ne laissant que peu leurs relations à autrui interférer avec leur raisonnement, commencent à voir les adultes perdre ponctuellement cette rationalité et se consacrer à ce qui leur semble des rituels bestiaux et absurdes. Et savoir que cela va bientôt leur arriver également provoque en eux un dégout et une rébellion bien compréhensible. Ce n’est que lors de leur première sexualisation qu’ils peuvent comprendre l’amour et l’affection que partagent alors les adultes. (Je ne peux que conseiller de lire Ursula dans le texte, elle en parle évidemment bien mieux que moi.) On pourrait aussi dire que la sexualisation temporaire est une version amplifiée des mensurations que subissent les femmes, et des perturbations de l’humeur qui les accompagnent.

L’intérêt de ces peuples fictifs est pour qu’ils sont à la fois très différents de nous, et en même temps nous parle de nous-mêmes. Cette répulsion que je viens de décrire entretient une relation étroite avec la découverte de la sexualité chez l’être humain, accentuant certains aspects pour mieux les mettre en valeur d’une façon cohérente.

Le problème des partenaires multiples et des sexualités correspondantes est que… eh bien je n’ai aucune idée de comment on pourrait les gérer. Leur description vire généralement à l’orgie, acculturée, qui mérite plus une description zoologique que psychologique au sens humain. (Non pas que j’eus quoi que ce soit contre nos charmants compagnons animaux, mais simplement je n’ai pas les mêmes problèmes mentaux qu’eux.)(Hé, un chien peut-il faire un complexe ? Diantre à qui je pourrais-je demander ça…?)

Bref, je laisse de côté le problème de la sexualité multiple.

Ce qui m’intéresse le plus aujourd’hui, c’est l’idée de changer non pas le nombre de partenaires, mais leur nature. La sexualité et l’amour semblent toujours être une relation de personne à personne, mais c’est aussi parfois une illusion. Il existe des relations de dominations, ou une des moitiés ne s’exprime pas et suit les désirs de l’autre. Il existe des relations de possessions, où l’un exhibe l’autre comme un trophée. Chez l’humain, ces relations sont généralement pathologiques. (Du moins dans nos cultures modernes, je suppose que chez la femme japonaise c’était différent.)

S’unir à quelque chose que l’on ne considère pas comme une personne. Cela pousse à vouloir l’aligner sur nos désirs, à le lier à nous. Si une race consciente pondait des œufs, il ne fait absolument aucun doute à mes yeux qu’elle développerait dès sa préhistoire des peintures sur la coquille, que leur archéologue étudierait ensuite pendant des milliers d’années, tentant de comprendre les vertus conférées à ces « peintures rupestres ». L’amour de l’objet mène également à l’art. J’ignore ce qu’est l’art, je ne vais donc pas développer ce point. Mais cela est également à relier à la pratique du tatouage chez l’être humain.

Je construis en ce moment un roman basé sur ces idées, peuplé d’êtres conscients, profonds, qui dont la culture se sera construit autour d’une sexualité différente.

Et pour conclure, une vidéo fascinante à propos de la sexualité des Manchots. Pour séduire leur partenaire, ceux-ci doivent construire le plus gros nid possible, c’est-à-dire y ramener un maximum de pierres. Mais ce gros travail est évité par certains… en volant les pierres dans les nids voisins ! Sexualité, ingéniosité, malhonnêteté, combats…
Thief Penguins, sur la BBC.